Tu marches dans les hautes herbes sous le soleil ardent de l’Afrique. Tu as une démarche chaloupée et régulière, tu te balances de gauche à droite. Tu es à côté de Mère avec ta tante et tes cousines. Tu suis la harde, le troupeau. Tu avances fièrement, la tête bien droite. Tu es une belle éléphante, avec deux défenses naissantes. Tu bombes le torse. C’est si rare de nos jours. De mémoire d’éléphante, cela fait bien deux générations qu’une femelle a arboré de si belles défenses en ivoire.
Tu regardes derrière toi. Les autres éléphanteaux femelles n’en possèdent pas. Tu es la seule et tu en es très fière. Tu souris et tu rêvasses… Un jour, tu seras la matriarche de la harde. C’est sûr ! C’est explicite. Tu peux énumérer plusieurs raisons incontestables. Tu bats des oreilles pour te rafraîchir un peu. Tout d’abord : tu es la plus âgée des éléphanteaux. Mais surtout, tu connais toutes les routes migratoires. Tu te souviens de tous les points d’eau et des zones nourricières.
Tu lèves la longue trompe, tu humes l’air chaud. Tu sens l’odeur de la savane. Tu continues de marcher. Oui, tu te souviens, c’est implicite, sans savoir pourquoi ou comment, tu sais exactement où te diriger. Tu souris, cette information est ancrée dans ta mémoire à long terme depuis plusieurs années maintenant. Tu t’approches de Mère. Elle te montre quelque chose par terre. Oh, qu’est-ce que c’est ? Avec la trompe, tu écartes délicatement de grandes herbes. Tu vois une étrange boule ronde, couverte d’écailles. Tu la renifles avec la trompe. Snif, snif...
En une fraction de seconde, ta mémoire sensorielle, la mémoire des sens, reconnaît l’odeur des… fourmis ! Tu recules vite et tu barris d’effroi. Mère éclate de rire. « C’est un pangolin, dit-elle. Ils sont rares. Ils mangent les fourmis. » Ouf… tu es soulagée. Tu te rapproches. Donc, une boule ronde couverte d’écailles signifie : pangolin, mangeur de fourmis ! Ta mémoire sensorielle fera l’association maintenant. Avec la trompe, tu caresses la boule d’écailles, et aussitôt elle se déroule et une petite tête apparaît ! Tu sursautes. Tu vois alors le petit pangolin galoper et s’enfuir dans l’herbe haute de la savane. Hi hi hi ! Tu cours à sa poursuite en riant.
« Reste près de nous », dit maman. Zut… La boule d’écailles t’a échappé. Vite, tu mets la trompe à ras du sol. Tu renifles et suis l’odeur de l’animal. Comment s’appelle-t-il déjà ? Tu te redresses et te grattes la tête avec la trompe. Mmmmm...Zut, tu as oublié son nom ! Ta mémoire est à court terme parfois, tu retiens l’information seulement quelques minutes. Soudain, tu regardes devant toi. Oh oh, tu as atteint la lisière de la forêt. Tu te retournes. Ouf, tout va bien, tu vois encore la harde, au loin dans la savane.
Mais… Tu es vraiment curieuse. Tu entres prudemment dans la forêt inconnue. Tu baisses la tête sous les branches. Tu sens l’air avec la trompe. Snif, snif...Mmmm… Ça sent bon l’humus ! Avec la trompe, tu ramasses des feuilles au sol. En une fraction de seconde, la mémoire sensorielle te fait saliver. Oui, tu aimes cette odeur de feuilles humides. C’est dans ta mémoire à long terme. Il y a plusieurs mois, Mère t’a offert des feuilles avec cette odeur. Un frisson de plaisir te parcourt le dos. Les feuilles étaient si savoureuses. Mmmmm… Tu barris de plaisir à cet agréable souvenir.
Zut ! Tu as encore oublié le nom de cette feuille. Tu soupires. Pffff...Comme la mémoire est courte parfois. Tu sursautes et pousses un barrissement de frayeur. Tu cours pour échapper au danger. Tu te cognes contre un arbre, il se brise sous le choc. Tu as le cœur qui bat fort. Paniquée, tu cours et t’enfonces dans la forêt. Tu t’arrêtes enfin, épuisée, tu respires encore très fort, mais tu parviens à te calmer lentement. Tu regardes autour de toi, les yeux exorbités. Mais où es-tu ? Où est la lisière de la forêt ? Tu sens la panique te gagner à nouveau.
Non, tu dois absolument te ressaisir ! Vite, tu énumères tes souvenirs explicites, pour retrouver ton calme.
- Respirer très fort, plusieurs fois.
- Secouer la tête et claquer des oreilles, encore et encore.
Ouf ! Tu réussis à rester calme. Tu te dis à toi-même : « Souviens-toi ! Maman t’a déjà dit quoi faire si tu te perds ! » Tu tournes en rond. Tu cherches dans ta mémoire, tes souvenirs. Tu grattes la tête avec la trompe. Mère te l’a répété plusieurs fois, pourtant ! Mais c’est difficile à entrer dans ta mémoire à long terme. Grrr, tu grognes de mécontentement et tu frappes du pied sur un tronc creux !
Oui, c’est ça. Tu fais l’association, le son du tronc te rappelle la solution. Tu tapes du pied encore ! Oui, tu dois faire des infrasons, des sons extrêmement bas pour que ton appel au secours voyage dans la terre sur des kilomètres. Tu remues la queue et les oreilles, tu es contente. Tu émets des infrasons pour exprimer ton besoin à la harde. Vite, tu te blottis contre Mère. Toute la harde t’entoure et te caresse avec leurs trompes. Tu te détends, tu te sens enfin en sécurité. Soudain, tu entends un petit bruit. Tu sursautes. Mère rit : « C’est le pangolin. » Tu vois le museau du pangolin sortir sous les feuilles mortes. Ah, oui ! Pangolin, tu barris de rire. Hi hi hi ! Après toutes ces émotions, tu vas t’en souvenir vraiment longtemps !