Tu es avec tes amis. Tu cours vers le lac. Tu entres dans l’eau. Tu arroses tes amis et vous riez. Tu apprécies la fraîcheur de l’eau sur la peau. Le soleil est très haut dans le ciel. Ça annonce encore de belles récoltes de céréales, de fruits et de légumes. Tu sors du lac et tu te secoues un peu. La peau encore ruisselante, tu marches vers tes frères et ta mère. Elle cuit de délicieux poissons, sur un feu de bois, à l’ombre des orangers. Tu manges ces délicieux poissons avec ta famille. La vie est vraiment agréable sur les rives du lac.
Tu as maintenant 20 ans. Tu entres dans ta cabane. Tu es nouvellement marié et tu as déjà un bébé. Comme tu es heureux de ta vie ! Tu reviens d’une rencontre avec des gens de la ville. Ils proposent une excellente idée pour s’enrichir. Tu vas jusqu’au berceau. Tu prends ton enfant dans les bras. Tu es content. Tu vas élever des bœufs à la place des chèvres. Tu vas gagner bien plus d’argent.
Tu as maintenant 40 ans. Tu coupes encore quelques arbres. Tu as besoin de plus de champs, pour faire pousser plus de foin. Les bœufs mangent tellement plus que les chèvres ! Tu ramasses tes vieux outils. Tu marches vers ta maison. Tu es inquiet, les champs produisent de moins en moins d’herbe. Il y a beaucoup moins de pluie depuis quelques années. Et il fait de plus en plus chaud. Tu arrives devant ta maison. Tu prends un seau pour aller chercher de l’eau. Tu retournes vers le lac. Tu marches plusieurs minutes pour arriver à l’eau. Le lac est à demi asséché. Une usine pompe une grande partie de son eau. Maintenant, la majorité des gens du village travaillent dans cette usine. Tu puises un seau d’eau, elle est un peu boueuse. Presque tous les poissons sont partis. Et les récoltes sont de plus en plus maigres. La vie est maintenant difficile sur les rives du lac.
Tu as maintenant 90 ans. Tu ouvres les yeux et tu regardes le ciel. Tu t’assois sur ton vieux tapis usé de joncs tressés. Tu te frottes les membres ankylosés et engourdis. Tu essaies aussi de te réchauffer. Tu as encore froid. Tu trembles un peu. La nuit a été très froide. Tu te mets debout. Tu secoues les vêtements que tu portes. Un peu de sable en tombe. Il y a très souvent du sable dans l’air maintenant. La végétation est presque absente au sol pour retenir le sable. Tu souris au souvenir des dernières feuilles vertes que tu as vues. Ça fait déjà plusieurs mois. Treize ou quatorze mois peut-être. Treize ou quatorze mois sans pluie.
Tu t’éloignes de quelques pas et tu vas vers un gros rocher. Tu as envie d’uriner. Tu souris, tu te trouves drôle. Tu te demandes pourquoi tu te caches. Tu es le seul humain sur des kilomètres. Tu urines à peine quelques gouttes. Des gouttes jaune foncé et qui sentent très fort. Tu es très déshydraté. Tu tournes la tête. Tu regardes tes chèvres, elles sont très maigres. Il en reste six seulement. Une autre chèvre est morte hier. Plus trois autres la semaine dernière. Elles sont mortes de faim et de soif.
Tu retournes vers le vieux tapis qui te sert de lit. Tu prends la gourde d’eau. Il te reste quelques gorgées. Tu lèves le menton et bois une gorgée d’eau. Tu avales. Ça te fait un peu mal. Tu as la bouche et la gorge tellement sèches. L’eau a un fort goût de terre et de vieux cuir. Mais tu la trouves délicieuse. Tu en prends une deuxième gorgée. Cette eau goûte à la fois la vie et la mort. Tu refermes la gourde. Tu gardes le reste pour plus tard. Tu espères trouver de l’eau aujourd’hui. Le soleil est levé depuis une demi-heure à peine. Il commence déjà à faire chaud.
Tu ramasses tes maigres affaires. Pour l’instant, la chaleur te fait du bien. Tu en profites. Tu sais que très bientôt le soleil sera brûlant. Tu prends ton bâton de berger. Tu te mets en marche. Les chèvres te suivent. Elles aussi espèrent trouver de l’eau aujourd’hui. Tu marches en direction du lac. C’est maintenant un grand creux de boue séchée et craquelée. À peine un filet d’eau y coule à la saison des pluies. Tu marches jusqu’au milieu du creux avec tes chèvres.
Tu repenses à ce lac disparu et à ta vie. Tu fermes les yeux. Tu sens monter une profonde tristesse. Autour de toi, tu vois à peine quelques troncs desséchés, fugace souvenir de la vie de jadis. Tu ouvres les yeux et tu regardes le ciel. Tu retiens les larmes qui te mouillent les yeux. Même cette eau-là est trop précieuse. Tu te remets à marcher. Le soleil est déjà brûlant. Tes chèvres ont besoin de toi. Tu dois trouver de l’eau aujourd’hui.